ENCORE HEUREUX
Soul2Soul / RU - Genève (CH), 2022
Duo Show avec Annabelle Galland Invitation de Sylvain Gelewski
ENCORE HEUREUX
Soul2Soul / RU - Geneva (CH), 2022
Duo show with Annabelle Galland An invitation by Sylvain Gelewski
« Une peinture par personne » aurait pu être le titre de cette exposition. Métaphorique et recherché, non. Factuel et pragmatique, oui.
Dans la salle rectangulaire est placée une structure presque carrée, dans laquelle deux boxes de présentation sont en partie attribués par les artistes à elleux-mêmes. Côté cour et côté jardin, côté Galland et côté Delétraz, côté chambre à coucher et côté salle de bain. Libre au public de choisir lequel est à qui et où se trouve quoi. Car si dans la proposition, certaines décisions plastiques semblent claires, le propos parait plus énigmatique. Satire et cynisme, peut-être. Humour et point de vue, certainement.
Avec une générosité en termes de nombre d’?uvres, comme d’engagement en amont de l’exposition, les deux artistes appliquent dans ce cas et à la lettre, la première phrase de la devise de l’espace qui les accueille : laisser libre cours à l’expérimentation, la tentative, l’idée. Iels explorent diverses surfaces ne servant pas qu’à peindre, transposent la pratique de la sculpture à celle de l’assemblage, brisent une habituelle hiérarchie entre les ?uvres, procèdent autant par ajouts de détails délicats que par soustractions d’éléments perturbateurs, jouent avec la fonction et le statut de cadre dans tous les sens, comme avec le cadre de monstration de leurs pièces en soi. Autrement dit, faire du sérieux sans se prendre au sérieux.
Les nombreuses pièces individuelles, parfois inédites, parfois récupérées, provenant presque toujours de matériaux recyclés, deviennent installation éphémère et ?uvres communes uniques. Elles forment un ensemble clairsemant la surface du sol, les cimaises et l’espace factice ainsi créé. À travers le choix des matières premières utilisées, catelles en savon, lampes fonctionnelles mais non-ornementales, abat-jours anciens ou étranges, rideau retouché mais non-dissimulant, fontaine repeinte de laquelle ne jaillit pas d’eau mais un bouquet de fleurs, céramiques léchées sans être précieuses, structure en bois laquée mais instable, huile sur toile trouée, autocollants éparpillés et narguant les spectateurices, jusque dans la pose superstitieuse d’un objet anodin à l’arrière de leur structure, Annabelle Galland et Victor Delétraz se jouent de certains codes et assument les paradoxes de leur proposition. Celle-ci devient l’envers d’un décor où il n’y a rien à voir, ou presque. Contradiction et échec, pas du tout. Perspicacité et potentiel performatif, absolument.
« Deux seins et une cravate » aurait pu être un autre titre d’exposition ou peut-être de la performance en binôme ayant lieu dans l’espace, activant les divers éléments de l’installation, comme une critique d’un circuit dans lequel iels ont choisi d’évoluer. La rumeur dit que les artistes doivent financer leur production, payer leur choix de vie plutôt qu’elleux-mêmes. Preuve en est la longue liste de remerciements qu’iels ont tenu à partager avec le public, où le fait d’avoir un exécutant de montage revêt autant d’importance que d’avoir une préparatrice de banquet. Peut-être que les deux acolytes travaillent dans un même café de théâtre, échangeant là-bas bien plus de commandes que de répliques. Des partenaires de travail et de jeu parfaites,en somme.
Depuis le début, cette exposition n’est qu’un simulacre. Une collaboration extrême, à la limite de la perte d’équilibre mais dans une maîtrise totale. On les aurait même entendu dire « faut pas se louper ».
Encore heureux.
<3
« One painting per person » could have been the title of this exhibition. Metaphorical and elaborate, no. Factual and pragmatic, yes. In the rectangular room is placed an almost square structure, in which two presentation boxes are partly attributed by the artists to themselves. Courtyard and garden side, Galland and Delétraz side, bedroom and bathroom side. The public is free to choose which one belongs to whom and where is what. Because if in the proposal, certain plastic decisions seem clear, the proposal seems even more enigmatic. Satire and cynicism, perhaps. Humor and point of view, certainly.
With a generosity in terms of number of works, as well as commitment before the exhibition, the two artists apply in this case, and to the letter, the first sentence of the motto of the space that welcomes them: give free rein to experimentation, the attempt, the idea. They explore various surfaces that are not only used for painting, transpose the practice of sculpture to that of assemblage, break the usual hierarchy between the works, proceed as much by adding delicate details as by subtracting disruptive elements, play with the function and status of the frame in all senses, as with the framework of the display of their pieces in itself. In other words, to be serious without taking themselves seriously.
The numerous individual pieces, some never before seen, some recovered, almost all from recycled materials, become ephemeral installations and unique communal works. Together, they form an ensemble that sparsely covers the surface of the floor, the framing and the artificial space thus created. Through the choice of the raw materials used, the tiles made of soap, the functional but non-ornamental lamps, the old or strange lampshades, the retouched but non-dissimulating curtain, the repainted fountain from which does not spout water but a bouquet of flowers, the ceramics polished without being precious, wooden structure lacquered but unstable, oil on canvas with holes, stickers scattered and taunting the spectators, even in the superstitious pose of a harmless object at the back of a structure. Annabelle Galland and Victor Delétraz play with certain codes and assume the paradoxes of their proposal. This here becomes the backside of adecor where there is nothing to see, or almost. Contradiction and failure, not at all. Insight and performative potential, absolutely.
«Two Breasts and a Tie» could have been another exhibition title, or perhaps the pair performance taking place in the space, activating the various elements of the installation, as a critique of the circuit in which they have chosen to evolve. Rumor has it that artists must finance their production, pay for their life choices rather than themselves. Proof of this is the long list of thanks they wanted to share with the audience, in which including an editor is as important as including a banquet hostess. Perhaps the two sidekicks work in the same theater café, exchanging far more orders than dialogue lines there. Perfect working and playing partners, in short.
From the beginning, this exhibition has been a sham. An extreme collaboration, on the verge of losing balance but in total control. One would even have heard them say «we must not miss».
Still happy ( Encore Heureux ).
<3
Text: Sylvain Gelewski
Photos: YAL